Tu as été élevé en Algérie, quelles sont les musiques qui berçaient alors ton enfance ?
La première musique que j’ai entendue - en dehors d’artistes tels que Gloria Lasso, qu’écoutaient les français sur place et dont j’aime à dire qu’elle a été ma première chanteuse de Blues - est la musique qu’on appelle orientale et qu’à l’époque on nommait arabe.
Je me suis aperçu, longtemps après, que les similitudes entre cette musique et le Blues sont grandes. On peut considérer qu’il s’agit de musiques cousines…
Bien que les communautés étaient séparées, cette musique « traînait » partout. Je suivais mon père dans des cafés, lorsqu’il allait voir des gens, et c’est là que je l’entendais. C’était très convivial…
Je m’en souviens alors que je n’étais pas plus haut que les genoux de mon père, cette musique était partout et elle me plaisait…
Finalement ta découverte du Blues afro-américain s’est faite à ton arrivée en France…
Oui et non car, quoi qu’on en dise, on retrouve cette musique partout. J’adorais écouter du Gospel dont il y avait des disques à la maison. A mon arrivée en France, la musique a pris plus d’importance. Bien qu’âgé de 9 ans, je n’étais plus tout à fait un enfant. Comme, dans la famille, nous chantions à l’église : je m’intéressais particulièrement à cette musique. En fait, mon premier Gospel a été le « Tanto Mergo » ou des choses comme celle-ci…
Je ne peux pas vraiment parler d’influence car c’est une chose que j’ai toujours sentie et portée en moi. Si cela peut paraître prétentieux c’est pourtant vrai !
C’est mon frère qui a permis que cela prenne forme car il aimait le Blues et en écoutait, tout comme du Jazz. Un jour, alors que j’avais 10 ans, je l’ai entendu jouer « Baby Please Don’t Go » et cela a été le truc !
Je ne savais pas si c’était du Blues ou une autre musique mais le son m’a littéralement attrapé…
Est-ce que le fait d’avoir été, en partie, élevé en pension chez les curés a accentué ton amour pour la musique du Diable ?
La musique du Diable est un truc inventé par ceux qui ne connaissent pas le Diable…
Comme beaucoup de gens, je n’ai pas eu une enfance facile, cela me marque encore profondément. Il y a toujours eu du malheur ou de la nostalgie…
Mes parents étaient séparés et, tout petit, alors que je vivais avec ma mère, je devais m’occuper d’elle. Je n’ai toujours pas compris ce qui s’est passé à l’époque.
On dit que le Blues est une musique triste mais pour moi c’est une musique rageuse et j’avais besoin de hurler…
Lorsque j’étais en pension, bien que propre sur moi, j’étais asocial. J’allais jouer de l’harmonium à la chapelle car je n’avais pas d’instrument sous la main. Je profitais de chaque instrument qui passait devant moi, du kazoo à l’harmonica en passant par des guitares d’emprunt…
Cette musique était vraiment mon langage. Cette musique, je la joue encore à la maison et quelquefois mieux que sur scène, d’après mon fils (rires)…
Je n’ai pas attrapé ce virus par souci de mode. D’ailleurs, j’étais seul dans mon coin et ce n’est que plus tard que je me suis aperçu que beaucoup de gens jouaient cette musique-là.
Par la suite il y a eu les Rolling Stones qui avaient ce son, c’était le seul Blues que l’on pouvait écouter à l’époque.
J’ai fait de la musique car, à un moment de ma vie, il a fallu que je m’accroche à quelque chose pour pouvoir exulter. C’est le Blues que j’ai choisi…
Pourtant cela aurait pu être la musique russe (Jean a une grand-mère d’origine russe, Nda) ou autre chose mais j’ai opté pour cette « septième mineure qui descend »…
Curieusement il n’y a pas que dans le Blues qu’il y a cette septième mineure car elle existe aussi dans la musique arabe. Cet espèce de ventilateur au dessus de nos têtes…
Tu as été longtemps dessinateur publicitaire. Cette profession te permettait-elle de pratiquer, parallèlement, ta passion de la musique ? Te produisais-tu souvent à ce moment-là ?
J’étais comme tous le gens qui jouent chez eux. J’avais toujours un moment, bien que je ne le faisais pas forcément à heures fixes. J’étais dans le cas de beaucoup d’autres même si, en ce qui me concerne, cela prenait beaucoup de place.
Je me souviens que j’ai voulu monter sur scène assez rapidement. Cela a commencé vers l’âge de 14-15-16 ans… Puis, je me suis pointé sur des petites scènes du côté de Perpignan. Dans une petite ville on se fait rapidement une réputation.
Au bout d’un moment, cela a commencé à prendre forme et en 1988 le Festival de Cahors a commencé à me solliciter pour que je leur envoie une cassette.
Cela m’a permis d’être choisi afin de faire la première partie d’Albert Collins lors de son passage. Je suis monté sur cette grande scène et me suis rendu compte que ça marchait et que j’avais, enfin, la reconnaissance de mes pairs. Tout à coup ça m’a fait drôle car je n’étais plus dans le même camp. Je me suis aperçu que j’y étais pour de bon et qu’il fallait que je me lance. Je n’étais plus sur scène pour mes copains ou pour mon plaisir.
D’autres choses sont rentrées en ligne de compte…
Finalement ce déclic a eu lieu alors que tu avais déjà 40 ans. Penses-tu que ce que l’on appelle ta « discrétion naturelle » a été un frein pour te lancer dans l’aventure plus tôt ?
Non, je ne le vois pas comme ça…
Je joue le Blues depuis que j’ai 10 ans et demi ou 11 ans. A l’époque je hurlais déjà, d’ailleurs cela ne s’est pas arrêté et je me demande si ça va s’arrêter un jour… cette espèce de chose qui te poigne.
Ta question est assez technique. J’avais besoin de construire une famille et d’avoir un métier qui me plaisait et me convenait. Puis, à un moment, « les machines sont arrivées » et je ne pouvais plus faire mon métier comme il le faut. D’un autre côté, mon fils me voyait et m’entendait jouer et j’ai décidé de lui en faire entendre encore plus. C’est, à la fois, une manière de papa paternaliste et de type égoïste qui dit « j’y vais… ».
Je ne me suis pas posé de question, il y a des plots qui sont arrivés jusqu’à mes 40 ans où je me suis dit « je le fais professionnellement » !
C’est une grosse nuance car je considère que j’ai toujours joué…
Maintenant j’ai une obligation de résultat car on me paye pour bien jouer. Ce n’est plus la même eau…
Retard ou pas retard…
La question terrible serait de souligner que je n’ai enregistré mon premier disque qu’à l’âge de 54 ans…
C’est très tard, je suis limite carte merveille (rires)…
Tout au long de ces années, quels sont les musiciens qui t’ont le plus influencé ?
Mississippi Fred Mc Dowell, Big Bill Broonzy, Muddy Waters, John Lee Hooker…
Après je me suis mis à écouter dans les juke box du coin (Jean m’avoue alors qu’il n’a jamais été un grand collectionneur de disques) des groupes comme les Rolling Stones que j’aime bien pour le côté veineux qu’ils ont.
Il y a une influence tardive à laquelle je tiens : celle de Ry Cooder qui a fait tant de choses. Le fameux coup de bottleneck qu’il y a dans « Sister Morphine », c’est Ry Cooder…
Ce truc-là m’avait traversé la tête, c’est donc une réminiscence.
Mais mon premier disque a été Big Bill Broonzy, il a été un vrai révélateur. Après il s’est passé plein de choses…
C’est drôle que tu me parles de Ry Cooder car à la première écoute de ton disque j’ai pensé à lui. Tu m’as encore davantage fait penser, peut-être à cause de vos natures très humbles, au chanteur - guitariste Spencer Bohren…
Oui effectivement….
On parle très peu de lui, il n’y en a que pour les autres…
Ce qui lui manque peut-être par rapport à un Ry Cooder, c’est le charisme et l’inventivité…
J’appelle cela « mettre le poids de l’épée de Brennus ». Avec cela dans la balance il y a tout de suite 5 kgs de plus. Ce sont des gens qui nous aident…
Pura Fe’ est de cette race-là. Son guitariste Danny Godinez est aussi un type charmant…
L’autre jour je lui disais que, pour moi, la guitare est un outil alors que pour lui c’est un instrument. C’est là toute la différence (rires).
Tu tournes actuellement avec Pura Fe’ et Eric Bibb. Que représentent ces artistes pour toi ?
J’ai appris à les connaître à travers tout ce qui s’est passé, pour moi, depuis 1 an ou 2.
Je suis impressionné car ce sont des gens qui ont de « la bouteille » dans leur musique. Ils ont de l’épaisseur, du vécu…
Cette manière « arrachée » qu’a Pura Fe’, on l’entend !
Quant à Eric Bibb, je ne le connais pas encore physiquement. Mais on sent que lorsqu’il s’assoit il doit prendre de la place sur sa chaise. Cela s’entend quand ces gens jouent, ils sont épais comme de la nourriture…
Par quel biais ton album a-t-il été signé par le label Dixiefrog ?
Nous nous connaissons depuis longtemps avec Philippe Langlois (créateur du label Dixiefrog, Nda) et il était question que je lui fasse un disque qui lui convienne. Nous nous appelions cycliquement et, parfois, parlions même plus de nos santés respectives que de musique.
Il y a un an, j’étais sur le point de tout arrêter. Des gens m’ont convaincu de ne rien lâcher. Donc j’ai pris le taureau par les cornes, repris mes bandes et en ai enregistré d’autres. Je les ai envoyées à Philippe Langlois sans vraiment lui dire que c’était le « dernier coup ». Bien que je convenais que cela pourrait ne pas lui plaire, comme d’autres choses envoyées auparavant.
Il m’a répondu en me disant « cette fois-ci, on le fait ! ».
Du coup tout a basculé pour moi qui n’y croyais pas vraiment.
Je suis content de ce qui m’arrive et de ce qui arrive a Philippe, car je suis content qu’il m’ait signé !
Je ne m’étais pas adressé à quelqu'un d’autre que lui. Je suis un peu « raide de l’échine » car je ne voulais pas contacter n’importe qui sous prétexte d’être signé ou qu’on voit ma figure sur une scène. Ceci est un aspect du métier que j’aime moins…
De plus Philippe est un homme sympathique, ça aide…
De ce fait, maintenant, je dois bien jouer car il faut qu’il soit content de moi (rires) !
Peux-tu revenir plus en détail sur ce disque « Blues Bleus » (Dixiefrog) et m’en dire plus sur le choix de ce titre ?
« Blues Bleus » tout simplement parce que c’est un anagramme. Tu bascules deux lettres et on retrouve le mot Blues. De plus il est deux tiers en français et un tiers en anglais. Ce sont les deux idiomes qui sont là…
Si ont lit les deux mots très vite on les mélange car les lettres sont identiques.
C’est tout simple…
C’est un album qui est souvent assez sombre au niveau des textes. Quels sont tes sujets de prédilection et choisis-tu aussi tes reprises de chansons américaines en fonction de leurs textes ?
C’était une espèce de secret mais on va dire que c’était un peu mon demi-secret…
Mon enfance et ma jeunesse n’ont pas été roses du tout. J’ai lu une critique qui disait que j’étais nonchalant mais en fait, c’est de la distance…
Mes sujets sont mon père, mon frère, ma mère et ma famille en général…
Cette famille qui ne s’est jamais totalement construite…
Une chanson comme « Appelle Moi » est bien représentative de la chose, c’est « pourquoi ne m’appelles-tu pas, moi j’attends après toi ? »…
Dans « Chercher Toujours » c’est pareil…
Je m’adresse toujours aux mêmes personnes. Mon père pour tout ce qu’il avait de magnifique et d’égoïste à la fois, ma mère pour tout ce qu’elle a raté et que je n’ai pas pu…
Je suis très gêné car j’ai l’âge que j’ai et cela continue de me coller aux basques (Jean est alors gagné par l’émotion et je décide de couper l’enregistrement. Nous parlerons longuement avant de reprendre l’interview afin de la conclure, Nda)
De quelle façon comptes-tu donner une suite à cet album ?
Il y a Philippe Langlois qui me fait confiance. Il investit de son temps et de son argent pour moi. Il y a Jean-Hervé Michel qui s’occupe de la production chez Nueva Onda. C’est lui qui a fait le maximum pour que je me retrouve sur les tournées (avec, en point d’orgue, un concert à La Cigale le 19 mai 2008) de Pura Fe’ et d’Eric Bibb.
Je vais faire de la promo, des émissions de radio comme « Le fou du Roi » sur France Inter etc…
Bien que la pub était, un peu, mon ancien métier, je les laisse faire. Je viens de temps en temps aux nouvelles afin d’essayer d’amener mon eau à ce moulin qui tourne.
Après, qui vivra verra (rires)…
As-tu une conclusion à ajouter ?
Que David est un type charmant (rires) !
Sinon ce qui me tient à cœur est que tout cela fonctionne. Cela dit, je dois t’avouer que je ne réfléchis pas plus loin que 500 mètres. Je n’y croyais pas de trop mais ça a l’air de prendre forme. Alors cela me donne de l’envie et de l’espoir. Donc j’aimerais que ça aille un peu plus loin.
www.myspace.com/jeanchartron
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